Transformer les déchets en énergie en Indonésie : entre opportunités et défis
Le gouvernement indonésien a récemment confié au fonds national d’investissement Danantara Indonesia (Daya Anagata Nusantara) la mise en œuvre d’un programme ambitieux : transformer les déchets en électricité.
Cette initiative reflète la détermination de Jakarta à réduire les émissions, à atteindre la neutralité carbone et marque un tournant dans la stratégie de transition énergétique de la plus grande économie d’Asie du Sud-Est.
De la crise des déchets à l’énergie renouvelable
Selon Reuters, l’Indonésie produit environ 35 millions de tonnes de déchets chaque année, dont plus de 60 % ne sont pas correctement traités. Les décharges à ciel ouvert, notamment autour de Jakarta et de Surabaya, sont devenues de véritables “bombes environnementales”, émettant du méthane – un gaz à effet de serre ayant un pouvoir de réchauffement environ 25 fois supérieur à celui du CO₂ sur 100 ans – tout en polluant l’air, les eaux souterraines et les sols.

Face à cela, Danantara Indonesia a annoncé le lancement des huit premières centrales Waste-to-Energy (WTE) d’ici octobre 2025, amorçant une chaîne de 33 usines à travers les grandes villes du pays.
« Ce programme sera déployé dans 33 villes, en priorité à Jakarta. Les autres régions de Java et de Bali suivront », a déclaré Rosan Roeslani, PDG de l’entreprise.
Chaque centrale traitera environ 1 000 tonnes de déchets par jour pour produire 15 MW d’électricité, de quoi alimenter des dizaines de milliers de foyers. L’électricité produite sera achetée par la compagnie nationale PLN, garantissant un débouché stable pour les investisseurs.
L’investissement est estimé entre 2 et 3 billions de roupies (soit 123 à 185 millions USD) par centrale, selon Stefanus Ade Hadiwidjaja, directeur des investissements de Danantara.
Les travaux dureront 18 à 24 mois, et le projet devrait créer des milliers d’emplois locaux pendant la construction et l’exploitation.
Ce programme s’inscrit dans le Plan national d’approvisionnement en électricité 2025-2034, visant une capacité totale de 453 MW issus des déchets pour un investissement global de 2,72 milliards USD.
Afin d’encourager la participation des collectivités locales, le gouvernement a supprimé l’obligation de frais de traitement des déchets ; les municipalités n’auront qu’à fournir environ 5 hectares de terrain par site, tandis que Danantara prendra en charge les études de faisabilité et l’ingénierie.
La participation de Danantara, en tant que fonds d’investissement public, est considérée comme un levier majeur pour la transition énergétique nationale, encore largement dépendante du charbon.
Selon East Asia Forum, les énergies renouvelables ne représentent que 13,9 % de la capacité installée totale du pays, tandis que le charbon dépasse 60 %.
Les projets WTE devraient aider l’Indonésie à atteindre 23 % d’énergies propres d’ici 2025 et la neutralité carbone d’ici 2060.
Comme l’a déclaré Rosan Roeslani au Jakarta Post :
« C’est le modèle d’économie circulaire que vise l’Indonésie… Les déchets ne sont plus un fardeau, mais une ressource créant énergie et emplois pour la population. »

Des avantages accompagnés de nombreux défis
Selon les estimations de Danantara, les centrales WTE pourraient réduire jusqu’à 80 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à l’enfouissement classique et diminuer la superficie des décharges jusqu’à 90 %.
Chaque 1 000 tonnes de déchets traités génèrent environ 100 à 150 tonnes de cendres, dont une grande partie peut être réutilisée dans les matériaux de construction.
Channel News Asia, citant des sources internes à Danantara, souligne que lorsque les 33 usines seront opérationnelles, le programme pourrait réduire d’environ 30 millions de tonnes de CO₂ équivalent par an, tout en fournissant près de 500 MW d’énergie renouvelable stable — soit la capacité d’une centrale thermique de taille moyenne.
Au-delà des avantages environnementaux, le projet apporte des retombées socio-économiques significatives : chaque centrale emploie des centaines de travailleurs locaux.
Selon Antara News, Stefanus Hadiwidjaja a indiqué :
« L’effet multiplicateur sur l’emploi et les infrastructures pourrait dépasser plusieurs fois l’investissement initial. »
Cette dynamique ouvre également la porte à l’investissement international ESG (Environnement, Social, Gouvernance). Bloomberg rapporte que Danantara consacre 20 % de son capital total aux projets d’énergie renouvelable, avec le Waste-to-Energy comme secteur phare.
Cependant, de nombreux défis persistent.
L’un des principaux concerne la qualité et le tri des déchets à la source.
Des recherches présentées à la conférence SDEWES 2025 montrent que les déchets indonésiens sont très humides et mal triés, réduisant l’efficacité de combustion et augmentant la consommation énergétique.
De plus, la sensibilisation du public au tri sélectif reste limitée, nécessitant de vastes campagnes nationales.
Sur le plan financier, The Jakarta Post avertit que si le prix d’achat de l’électricité par PLN n’est pas suffisamment attractif ou si les contrats d’achat d’électricité (PPA) sont retardés, les projets risquent des difficultés de trésorerie.
D’un point de vue technique, la gestion des cendres et des fumées post-combustion constitue un autre défi.
Les experts rappellent que les cendres issues de l’incinération contiennent souvent des métaux lourds et doivent être traitées avec rigueur avant d’être réutilisées dans le bâtiment afin d’éviter toute contamination secondaire.
L’Indonésie doit également accélérer la révision de son cadre réglementaire, simplifier les procédures administratives et instaurer des incitations fiscales vertes pour les investisseurs.
Sur le plan technologique, Danantara envisage la co-combustion des déchets avec la biomasse afin d’améliorer le rendement et de réduire les émissions.
L’Indonésie dispose d’un potentiel considérable de biomasse provenant des résidus agricoles, équivalant à plusieurs dizaines de gigawatts s’il est exploité efficacement.
Cela ouvre une double voie : réduire les déchets et diversifier les sources d’énergie propre, tout en diminuant la dépendance au charbon.
Par ailleurs, le risque de pollution atmosphérique demeure une préoccupation.
Selon Mongabay (août 2025), certaines zones de Java Est ont enregistré une légère hausse des particules fines (PM 2.5) autour des centrales WTE, bien que restant dans les limites autorisées.
Les experts recommandent au gouvernement de publier les données d’émission en temps réel et de renforcer le contrôle indépendant pour accroître la confiance du public.
— Source : EVN Hanoi




